Combien d’électricité votre maison consomme-t-elle par an ? Quelle est l’empreinte carbone de l’immeuble dans lequel vous travaillez ? Bien des gens, qui savent pourtant approximativement ce qu’ils dépensent en carburant, n’ont souvent aucune idée de la quantité d’énergie que consomme leur maison, notamment en matière de chauffage, d’eau chaude et d’éclairage. En bref, ils n’en connaissent pas le bilan carbone. Chose assez étonnante, car c’est la première question à se poser si l’on veut réduire ses factures d’énergie.
Aujourd’hui, pratiquement tout le monde est conscient de la nécessité de consommer moins d’énergie avec des maisons plus efficaces d’un point de vue énergétique. Les appareils électroménagers de classe A et de bonnes stratégies d’économie d’énergie permettent de consommer moins d’énergie et d’en réduire d’autant la facture. Selon votre budget, les options pour diminuer les coûts sont nombreuses. Il peut s’agir d’ajustements mineurs ou de rénovations de grande ampleur. En appliquant chez vous une gamme de techniques – dont certaines n’impliquent que quelques petits réglages – vous pouvez limiter vos émissions de carbone et réaliser d’importantes économies d’énergie.
Alors, à plus grande échelle, imaginez quel serait le résultat si ces techniques étaient appliquées à toutes les maisons, à tous les immeubles commerciaux et à tous les bâtiments publics du monde entier ! Selon le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) intitulé Transition to Sustainable Buildings (Vers des bâtiments durables), les bâtiments totalisent, à l’échelle mondiale, un tiers de la consommation d’énergie et des émissions de dioxyde de carbone. Si rien n’est fait dans ce secteur pour améliorer l’efficacité énergétique, la demande d’énergie devrait augmenter de 50 % d’ici 2050. À moins d’une volonté décisive dans la conception, la construction et la rénovation des bâtiments, nous risquons de « condamner » nos villes à l’inefficacité énergétique pour les décennies à venir.
Il faut agir maintenant, non seulement pour suivre les tendances énergétiques mais aussi parce que, dans le secteur du bâtiment, en raison du taux de renouvellement très faible, les efforts sur les constructions neuves ne seront pas suffisants. Il est extrêmement important d’améliorer les performances énergétiques de notre parc immobilier existant.
Vers une décarbonisation des bâtiments
Selon le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « sur l’ensemble des constructions actuelles, d’ici 2030, la réduction de l’empreinte carbone tient pour l’essentiel à la rénovation des bâtiments existants et au remplacement des équipements gourmands en énergie », et des économies d’énergies de l’ordre de 50 % à 75 % peuvent être réalisées dans les bâtiments commerciaux qui utilisent intelligemment des mesures d’efficacité énergétique.
Ce qui différencie le dossier de construction d’un bâtiment neuf du dossier de réhabilitation d’un bâtiment existant, c’est que ce dernier implique au préalable une analyse détaillée de la structure existante qui mettra en évidence toute une série de contraintes. La démarche de conception est la même dans les deux cas, mais les options sont plus restreintes dans le cas d’un projet de réhabilitation.
ISOfocus s’est adressé à des experts dans le domaine pour avoir leur point de vue sur ces questions, leur demander comment procéder pour augmenter l’efficacité énergétique et faire en sorte que les bâtiments que nous construisons ou réhabilitons aient un impact moindre en termes de coût énergétique, de pollution atmosphérique et d’émissions de carbone – et en quoi les normes ISO peuvent y aider.
L’Institut de recherche en isolation thermique (FIW) est l’un des principaux instituts de recherche et d’essais en isolation thermique d’Allemagne. À l’échelon international, le FIW exerce différentes activités : analyses de laboratoire, essais en extérieur, démonstrations sur site, études, formation avancée et normalisation.
Andreas Holm, Directeur du FIW et Président de l’ISO/TC 163, Performance thermique et utilisation de l’énergie en environnement bâti, sous-comité SC 1, Méthodes d’essais et de mesurage, explique que, pour l’Allemagne comme pour beaucoup d’autres pays européens, l’un des défis majeurs est d’améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments existants. « Bon nombre des constructions neuves sont des bâtiments zéro énergie, mais pour obtenir un impact appréciable sur la consommation énergétique globale, nous devons améliorer l’efficacité énergétique du parc immobilier existant de manière à l’adapter aux normes actuelles. » Pour Holm, le taux de réhabilitation des bâtiments anciens, qui est de l’ordre de 1 % en Europe centrale, est trop lent : à ce rythme il faudrait une centaine d’années pour réhabiliter l’ensemble du bâti existant.
Dans pratiquement toutes les régions du monde, le chauffage et le refroidissement représentent les postes les plus consommateurs d’énergie du secteur de la construction. Or, comme le fait observer Holm, dans la plupart des cas, la déperdition d’énergie intervient au niveau de l’enveloppe du bâtiment – à la liaison entre l’intérieur climatisé et l’extérieur. La rénovation des bâtiments anciens peut permettre de diminuer considérablement la consommation d’énergie nécessaire pour le chauffage et la climatisation – c’est la seule façon de réduire significativement l’empreinte énergétique du parc immobilier existant.
À titre d’exemple, la performance énergétique des bâtiments peut être calculée à l’aide d’ISO 16346, Performance énergétique des bâtiments – Évaluation de la performance énergétique globale, et plusieurs autres normes ISO complémentaires peuvent servir pour le calcul des propriétés thermiques de l’enveloppe du bâtiment (murs, toit et sous-sol) et des divers matériaux de construction. Ces normes fournissent la référence pour les performances dans les documents commerciaux et les règlements de construction partout dans le monde.
Holm note que le marché de la construction, jusqu’ici essentiellement national, s’internationalise progressivement. « Les fournisseurs des chantiers de construction opèrent de plus en plus fréquemment dans différents pays, et les opérateurs, de même que les constructeurs, élargissent eux aussi leurs activités à l’international » dit-il.
Alors que les gouvernements nationaux se doivent de maintenir des stratégies bas-carbone, il est encourageant de noter que des Normes internationales sont en cours d’élaboration, relève Holm. « C’est une nécessité car, dans l’ensemble, le monde s’internationalise et le secteur de la construction n’échappe pas à cette évolution. Il est difficile de concilier une multiplicité de normes ; selon la norme utilisée pour tel ou tel calcul, le résultat ne sera pas nécessairement le même. »
En outre, ajoute-t-il, « les normes permettent de réduire les coûts, d’augmenter l’éco-efficacité des bâtiments et d’en améliorer le confort intérieur ». En réduisant les factures d’énergie et les coûts de réhabilitation, elles garantissent un environnement plus sain et plus économe en énergie et elles accroissent le bien-être.
Construire dans une optique de développement durable
Au Japon, l’IIBH, Institut d’harmonisation internationale de la construction et du logement, joue un rôle essentiel pour appuyer le développement dans ce domaine, non seulement au travers des efforts d’harmonisation internationale qu’il assure au niveau de l’ingénierie, des systèmes, des normes et des codes, mais aussi par le biais d’activités d’échanges internationaux, notamment en matière de recherche et de soutien.
Grâce aux efforts du gouvernement et des entreprises privées, le Japon est déjà l’un des pays les plus avancés en termes d’efficacité énergétique. La réduction des émissions de carbone y est maintenant à l’ordre du jour. « La définition des mesures essentielles à prendre pour opérer une transformation dans le mode de construction des bâtiments est l’enjeu majeur » fait valoir Nishino Kanako de l’IIBH, tout en reconnaissant que si le savoir-faire scientifique partagé permet d’améliorer les performances et la viabilité économique, la situation est encore inédite dans le reste du monde.
À son avis, on peut faire beaucoup plus pour mettre vigoureusement en place des codes de construction efficaces et des programmes de rénovation en profondeur, et, comme elle le précise, « pour mener des politiques rigoureuses, il est indispensable que la société dispose d’outils crédibles, fiables et efficaces reposant sur des normes pour évaluer la performance énergétique réelle des constructions ».
Une harmonisation entre les normes nationales et les normes internationales est indispensable, affirme Nishino en signalant que « l’élaboration de référentiels ou de tout autre outil devrait être reflétée dans des Normes internationales. C’est dans cette optique qu’IIBH participe à l’élaboration des Normes internationales ».
Des solutions de pointe
Dans toute discussion sur l’efficacité énergétique des bâtiments, il est forcément question d’innovations et de nouvelles méthodes. Pour l’Association norvégienne des constructeurs d’habitations, l’enjeu actuel concerne le rôle des outils de simulation énergétique.
Pour Lars Myhre, Directeur technique de cette association et Président de l’ISO/TC 163, SC 2, Méthodes de calcul, les logiciels de simulation énergétique qu’utilisent les ingénieurs, les architectes et les chercheurs pour modéliser la consommation d’énergie sont essentiels. « Je vois l’important potentiel du recours aux informations de la maquette numérique du bâtiment (BIM) dans les simulations énergétiques – pour le chauffage, le refroidissement, la ventilation, l’éclairage, les charges aux prises et les charges de traitement – et pour la consommation d’eau dans les bâtiments. En Norvège, nous avons commencé à utiliser le BIM pour la simulation de la performance énergétique des maisons résidentielles, une démarche très prometteuse. Je suis impatient, pour ma part, d’utiliser les nouvelles normes qu’élabore l’ISO/TC 163/SC 2 pour calculer et évaluer la performance énergétique des nouvelles constructions à consommation d’énergie quasi nulle. »
M. Myhre est convaincu qu’il faut impérativement agir tout de suite. « Pour éviter les dangereux effets du changement climatique, il est absolument urgent d’améliorer l’efficacité énergétique et de réduire les émissions de gaz ayant une incidence sur le climat. L’accord de Paris de la COP21 confirme cette urgence. »
Dans ce domaine, la contribution des normes peut être significative, et comme M. Myhre le relève, « les normes sont déterminantes car elles fournissent un cadre commun complet pour le calcul de la performance énergétique des composants individuels et des bâtiments entiers. En faisant appel aux normes, il est possible d’évaluer d’autres mesures pour améliorer la performance énergétique de tous les types de bâtiments ».
Une démarche holistique
La « décarbonisation » du secteur de la construction est le but de la nouvelle démarche holistique mise au point par le Groupe de travail mixte de l’ISO sur la performance énergétique des bâtiments (PEB). Pour Dick van Dijk et Essam E. Khalil, qui co-animent le groupe, la méthode d’évaluation complète des performances énergétiques permet d’établir l’énergie totale utilisée pour le chauffage, le refroidissement, la ventilation, l’eau chaude domestique et, dans certains cas, les appareils électroménagers.
Comme l’expliquent MM. van Dijk et Khalil : avec la future série de normes ISO 52000 en cours d’élaboration, en s’appuyant sur les meilleures technologies et les meilleures pratiques disponibles, l’industrie du bâtiment devrait être beaucoup mieux équipée pour optimiser l’efficacité énergétique. Ils indiquent que les normes de la série ISO 52000 permettront d’évaluer la performance énergétique globale d’un bâtiment, et que, pour atteindre le niveau de performance énergétique prévu, au coût le plus serré, n’importe quel moyen technologique peut être utilisé.
La série ISO 52000, qui devrait être publiée au premier semestre 2017, est en cours d’élaboration en étroite collaboration avec le Comité européen de normalisation (CEN) et d’autres organismes de normalisation. En Europe, les normes PEB sont élaborées pour appuyer la mise en œuvre nationale de la Directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB).
Les différences nationales et régionales en termes de climat, culture et tradition architecturale, ainsi que les différents cadres réglementaires et législatifs y sont pris en compte, expliquent MM. van Dijk et Khalil. « Diverses options sont proposées pour les procédures, les données et les conditions-cadre. Pour chaque option, un modèle clair est fourni pour effectuer sur mesure l’évaluation de la performance énergétique. Une liste de choix (« par défaut ») est également proposée. »
MM. van Dijk et Khalil précisent que la démarche holistique est prometteuse. Les pays, comme les Pays-Bas par exemple, qui utilisent la démarche depuis plusieurs années ont réalisé des économies substantielles en termes de mise en œuvre et de coût pour toute une gamme de nouvelles technologies pour diverses applications, entre autres l’isolation thermique, les vitrages, le chauffage, le refroidissement, l’éclairage, la ventilation, les circuits d’eau chaude domestique, les systèmes d’automatisation et de contrôle des bâtiments ou les sources d’énergie renouvelables.
Perspectives actuelles et futures
Face à la consommation énergétique excessive des habitations dans le monde, il y a, avec les bâtiments durables, des perspectives de marchés profitables. L’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments ne contribue pas seulement à limiter la hausse des températures mondiales, elle représente aussi une opportunité de croissance avec des implications socio-économiques à différents niveaux – création d’emplois, santé et productivité, gestion des capacités des organismes de distribution d’énergie et allègement des coûts pour les budgets publics.
Des macro-économistes ont déclaré que l’efficacité énergétique est l’offre énergétique la plus sûre qui soit. Selon le rapport de l’AIE, Capturing the Multiple Benefits of Energy Efficiency (Saisir les avantages multiples de l’efficacité énergétique), la mobilisation d’investissements économiquement viables dans l’efficacité énergétique favoriserait une répartition plus efficace des ressources dans l’économie mondiale. Ces investissements pourraient apporter USD 18 000 milliards à l’économie mondiale d’ici à 2035, soit davantage que les économies des pays d’Amérique du Nord.
Bien sûr, avec le changement climatique qui menace, il y a des défis à relever. MM. van Dijk et Khalil pensent cependant que pour favoriser l’innovation dans le secteur de la construction, il faut des politiques claires et cohérentes avec des objectifs précis. « De même, pour développer de nouveaux concepts et de nouvelles technologies, et pour en surveiller et évaluer l’avancement, il faut des Normes internationales, car il est indispensable de pouvoir s’appuyer sur des termes, des définitions, des procédures d’évaluation et des indicateurs harmonisés. »
Toutes les mesures qui sont prises pour réduire l’impact environnemental d’un bâtiment tout au long de son cycle de vie – en particulier celles qui reposent sur des Normes internationales – sont un pas dans la bonne direction. Pour citer le poète philosophe américain Henri David Thoreau : « À quoi sert une maison si l’on n’a pas une planète acceptable pour l’y construire ? »
Pourquoi l’efficacité énergétique?
L’efficacité énergétique est l’un des piliers des nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies. Les ODD reconnaissent en effet l’importance des bâtiments et des villes dans la réalisation des objectifs globaux en matière d’énergie et d’infrastructures durables. De meilleurs bâtiments peuvent également apporter une contribution importante dans la lutte contre le changement climatique, qui est un autre ODD, un point reconnu dans plus de 45 nouveaux plans climat nationaux qui incluent des aspects relatifs à l’efficacité des bâtiments. Au vu du rôle important qu’elle doit jouer en veillant à ce que les pays respectent leurs obligations de réduction des émissions, la Conférence des Parties à la CCNUCC (COP21) tenue à Paris a consacré une journée entière au secteur du bâtiment. L’événement a abouti au lancement de l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction, une alliance d’organisations collectivement engagées à assurer que le secteur de la construction mondiale suivra la démarche « moins de 2 °C ».